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19 novembre 2012 1 19 /11 /novembre /2012 15:21
«C’est plus qu’une lutte de simples riverains»
18 novembre 2012 à 23:16
A Notre-Dame des Landes, le 17 novembre 2012.
A Notre-Dame des Landes, le 17 novembre 2012. (photo Stéphane Mahé. Reuters)

Reportage A Notre-Dame-des-Landes, paysans et jeunes militants venus des villes ont défilé ensemble samedi.

Par CHRISTIAN LOSSON De notre envoyé spécial à Notre-Dame-des-Landes
Derrière le foulard noir, des yeux rouges. Pas les gaz lacrymos : les forces de l’ordre se réservent pour plus tard. Pour ça : «L’émotion de voir autant de monde pour ce combat de société», lâche Jade, «squatteuse dans le coin depuis six mois». Samedi, elle résume : «On est arrivés et, à 5 kilomètres de là, à NDDL [Notre-Dame-des-Landes, ndlr], ils sont toujours pas partis ! Putain, j’y crois pas : on se sent moins seul d’un coup…»
 
Quel que soit le chiffre retenu (13 500 selon la police, 40 000 pour les organisateurs), il dépasse, et de loin, les prévisions des deux camps. «Autant de foule, de détermination, d’écho, sans banderoles de partis, d’assos ou de syndicats ? s’étonne un militant. Si le pouvoir croit que cette manifestation était un baroud d’honneur, il se plante : c’est un tournant, une nouvelle lutte qui commence.»
Au pied de son tracteur, Dominique Guitton a les traits tirés. «Pas beaucoup dormi toute la semaine, occupé à monter des barricades ou remettre des barbelés que des flics coupent pour que nos génisses s’échappent», sourit-il au milieu d’une marée de jeunes au look Black Block. Il y avait la guerrilla gardening, ces jardins éphémères créés dans les villes ? Voilà désormais la «guérilla» bocagère. Guitton se bat pour éviter de voir «du bitume» à la place «des légumes», comme le rêve un calicot. C’est l’un des initiateurs de Copain, réseau de paysans qui compte 1 000 adhérents depuis le 16 octobre. Une date charnière, de l’avis de tous. «Ce jour-là, rappelle-t-il, pas moins de 1 200 CRS et policiers sont venus pour virer les jeunes qui avaient occupé le bocage. Ils ont saccagé les potagers, détruit les cabanes, tapé sur les gosses…»
Alors que des militants hurlent «de l’oxygène, pas de kérosène», Guitton raconte ses longs échanges avec les «zadistes», ceux qui occupent la zone d’aménagement différé (ZAD) de 1 600 hectares du futur aéroport, rebaptisée «zone à défendre». «S’ils n’avaient pas été là, il n’y aurait pas cette manif de réoccupation.» Loin de disperser le mouvement, l’intervention des forces de l’ordre a «engendré le syndrome de la fourmilière», résume Jeanne, une militante de 22 ans : «Ça a pollinisé le truc : il n’y a jamais eu autant de fourmilières.»
Le clivage entretenu par des politiques - et certains médias - entre réformistes et radicaux, bons militants et mauvaises graines, n’a pas pris. «C’est plus qu’une lutte de simples riverains, c’est une lutte pour un choix de société, murmure Julien Durand, de l’Acipa, association de riverains. Ici, certains défendent un territoire contre un projet ubuesque, d’autres expriment le mal-être d’une société où ils ne trouvent plus leur place. C’est une alliance de circonstances entre une culture paysanne et une culture de jeunes qui cherchent autre chose.»
Cohabitation. Oui, mais quoi ? «Ici, on fait dans la biodiversité, écolo et humaine», dit l’un des animateurs de la coordination qui chapeaute 45 organisations en lutte contre le projet d’aéroport, qui doit démarrer dès 2013. Il y a un «grand écart politique qui va des autonomes au Modem», raconte Jean-Baptiste Ayrault, de Droit au logement (DAL). Il n’avait «jamais vu ça depuis l’occupation place de la Réunion, à Paris, en 1990», l’événement fondateur du DAL.
Pourtant, il y a encore trois ans, la cohabitation avait été musclée entre les libertaires, qui avaient lancé la «zone à défendre», et les «orga» traditionnelles, attelées à un mode d’action plus classique, la «semaine de résistance». «Les anciens voulaient absolument tout planifier», rappelle l’un des zadistes. «Les mômes pensaient que toute initiative individuelle était bonne», se souvient Geneviève Coiffard.
Le bras en écharpe (trois phalanges fracturées par un CRS), cette militante raconte l’évolution : «L’occupation a été LA bonne idée. Du coup, les agriculteurs sont allés labourer les terres, les zadistes ont cultivé, élevé des chèvres, cuisiné du pain, monté des free-shops, des ateliers vélos.» Un labo d’expérimentations alternatives. «L’arrivée des forces de l’ordre a achevé de fédérer les gens entre eux comme cela n’aurait pas été possible avant.» Jérôme, occupant d’une maison sur le site, résume : «NDDL est le terreau de convergence de luttes, de résistances qui se développent et s’organisent en réseaux. Les donneurs d’ordre ont été jusqu’à enlever la moindre pierre, comme pour effacer la mémoire des lieux.»
Il y aurait ici une gauche que le PS ne veut pas voir, et qui dénonce «la rhétorique» du pouvoir, «la propagande des concertations» et, à la fin, «use de la force pour imposer ses choix». Jérôme justifie la radicalisation face au durcissement. «Notre radicalité, c’est aller à la racine du mal : résister avec nos armes contre un pouvoir qui use de la violence frontale.» Signe que l’unité prévaut, c’est la première fois qu’une manifestation à composante «alter» portait en tête les libertaires de la ZAD. «Normal, non ? Ce sont eux qui ont été bousculés, piétinés par les forces de l’ordre», dit Jean, 57 ans, qui «n’a jamais pris l’avion» et n’entend pas «le prendre d’ici».
Ballots. A quoi mesure-t-on l’amplification d’une lutte ? Par sa capacité à mobiliser au-delà du local, du régional, «contre un projet absurde économiquement, écologiquement, politiquement, socialement», énumère Josoha, 22 ans, étudiant allemand installé à Rennes. Il y a ces bus venus du Finistère, du Nord-pas-de-Calais, de Paris ; des comités locaux (qui s’enclenchent). Des jeunes aussi, venus, d’Espagne, d’Angleterre ou d’Allemagne, dont certains, comme John, de Londres, veulent aider à bâtir de «l’habitat éphémère» pour «faire nombre». Amenées dans le bocage façon jeu de construction, des maisons en bois sur pilotis s’esquissent déjà. Isolées par des tranchées avec des ballots de paille. «La justice a annulé nos recours, rit un zadiste, mais on va se battre contre Rome qui a lancé son opération policière César.» NDDL, petit village gaulois ? Paul, un prof venu de Rennes, y voit «plutôt une vraie épine de gauche qui s’incruste dans le pied du pouvoir en place».

 
http://www.liberation.fr/economie/2012/11/18/la-necessite-d-un-nouvel-aeroport-prend-du-plomb-dans-l-aile_861400
La nécessité d’un nouvel aéroport prend du plomb dans l’aile
18 novembre 2012 à 23:16

Analyse Les projections économiques et écologiques ne plaident pas en faveur du projet.

Par Éliane Patriarca et Yann Philippin
L’aéroport censé ouvrir en 2017 au nord de Nantes est un projet des Trente Glorieuses. Au début des années 60, la France recherche pour son Concorde un tarmac à la mesure de ce fleuron national. En 1965, le préfet de Loire-Atlantique lance la recherche d’un nouveau site aéroportuaire, destiné aussi à transformer Nantes en «Rotterdam aérien» pour faire contrepoids à l’hypercentralisation parisienne. En 1973, le choix se porte sur le bocage de Notre-Dame-des-Landes. Mais le choc pétrolier va enterrer le Concorde et le projet. Ce dernier ne renaît de ses cendres qu’en 2000. La déclaration d’utilité publique est signée en 2008 par le gouvernement Fillon. Revue des enjeux d’une infrastructure très contestée.
L’aéroport actuel est-il saturé ?
C’est l’argument massue des promoteurs du projet. Si le hub européen envisagé il y a quarante ans n’a plus aucun sens, Nantes décolle grâce aux compagnies low-cost. Le trafic a bondi de 53% en cinq ans pour atteindre 3,25 millions de passagers, soit la deuxième plus forte hausse des grands aéroports régionaux. A ce rythme, «le seuil de saturation de Nantes-Atlantique», évalué à 4 millions de passagers par an, «pourrait être atteint dès 2015», explique le groupe Vinci, concessionnaire de l’ancienne et de la nouvelle plateforme. Mais selon les calculs d’un collectif de pilotes opposé au projet, qui dit s’appuyer sur des données officielles, «il n’y a pas de saturation». Les opposants assurent qu’il suffirait de moderniser l’aérogare et les parkings de l’aéroport actuel pour dépasser les 4 millions de passagers. Sans compter l’acheminement vers d’autres aéroports via les lignes TGV.
 
L’aéroport nantais est-il inadapté ?
L’aéroport actuel, situé à Bouguenais, à seulement 5 kilomètres du centre de Nantes, entraîne nuisances sonores et risques pour les habitants, expliquent les collectivités locales porteuses du projet :«50 % des atterrissages (10 000 avions par an) survolent le centre-ville de Nantes à moins de 500 mètres d’altitude.»
Maire (PS) de Bouguenais de 1993 à 2007, conseillère générale (Parti de gauche) de Loire-Atlantique, Françoise Verchère est vice-présidente du Collectif des élus doutant de la pertinence de l’aéroport (Cédpa), qui rassemble 1 000 représentants locaux. En vingt-cinq ans de mandat, elle dit n’avoir jamais eu affaire à des pétitions de riverains contre le bruit. Elle ajoute que «l’aéroport nantais est classé en catégorie A, sans risque particulier». Un diagnostic partagé par le collectif des pilotes.
Une aubaine pour loger les Nantais ?
La communauté urbaine compte utiliser l’emprise de l’actuel aéroport, soit 320 hectares, pour lancer un grand projet d’urbanisme. Et construire les logements dont l’agglomération va avoir besoin (100 000 habitants de plus sont attendus d’ici à 2030). Seul problème : Airbus, dont l’usine jouxte l’aéroport, a besoin de la piste pour acheminer sa production. A moins de déménager à Notre-Dame-des-Landes. Même s’il se garde bien de le dire publiquement, l’avionneur n’en a aucune envie. «On a investi des centaines de millions dans notre usine, il est peu probable qu’on envisage de la déplacer», dit un proche de la direction. Selon Françoise Verchère, le groupe de travail mis en place en 2009 par Nantes Métropole vient d’ailleurs de recommander de conserver la piste afin de ne pas pénaliser Airbus. De quoi limiter le projet immobilier.
L’investissement en vaut-il la chandelle ?
Le budget est estimé à 561 millions d’euros, dont la moitié environ à la charge de l’Etat et des collectivités locales. Mais les opposants soulignent qu’aucune réserve n’est prévue pour d’éventuels dépassements (40% en moyenne sur ce type de projets) et pour les accès ferroviaires envisagés. Au total, le coût pourrait, selon le Cédpa, avoisiner les 3 milliards d’euros.
Faut-il maintenir un projet si coûteux en pleine crise, alors même que le gouvernement vient de lancer un réexamen de l’ensemble des projets ferroviaires ? Les collectivités locales répondent que l’aéroport doit assurer le développement de Nantes et créer 4 000 emplois, dont 2 000 indirects. Un chiffre contesté par les opposants. «A Nantes-Atlantique, il y a actuellement 1 850 emplois directs pour plus de 3 millions de passagers, observe le Cédpa. Ces emplois seraient transférés et non créés.» Les opposants estiment en outre que «600 emplois agricoles» seraient détruits par la création de Notre-Dame-des-Landes.
L’environnement est-il menacé ?
Situé en pleine campagne, le site de Notre-Dame-des-Landes semble idéal pour construire un grand aéroport. Mais il est constitué de terres agricoles (élevage laitier essentiellement). Raser les exploitations, c’est priver Nantes d’une agriculture de proximité. «Urbaniser» ces 1 600 hectares, c’est aussi aller contre un objectif essentiel de la conférence environnementale de septembre : lutter contre l’artificialisation galopante de la France, qui perd tous les sept ans l’équivalent en terres naturelles d’un département. En outre, le site est constitué à 98% de zones humides, des écosystèmes fondamentaux pour la biodiversité.
La justice peut-elle bloquer le chantier ?
Pour les promoteurs du projet, tous les recours juridiques qui auraient pu bloquer la construction sont épuisés. Faux, répondent les opposants. Ils ont saisi la commission des pétitions du Parlement européen pour non-respect de la directive-cadre européenne sur l’eau. Ce qui pourrait déboucher sur une saisine de la Cour de justice européenne et une condamnation de la France. En attendant, les opposants réclament la nomination d’un médiateur.
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